A Bobigny, variations autour de «qu'est-ce qu'être français?»

Publié le par noureddine elkarati

Reportage

Le débat sur l'identité nationale orchestré par le ministre de l'Immigration Eric Besson suit son cours dans les préfectures. Exemple en Seine-Saint-Denis, pour un débat plutôt décousu.

Par CORDÉLIA BONAL

(C.B.)

Comme une légère appréhension. En laissant la parole à la salle, Nacer Meddah, préfet de Seine-Saint-Denis, conclut: «J'espère que les échanges seront emprunts de dignité.» Il insiste, «de di-gni-té», l'air de se demander quelle tournure va bien pouvoir prendre ce débat sur l'identité nationale organisé ce jeudi soir dans la grande salle de sa préfecture, à Bobigny. Le premier débat du genre en Seine-Saint-Denis, département emblématique de la «diversité» s'il en est.

Pour donner un peu d'assise au très flottant sujet du jour, «qu'est-ce qu'être français», la parole est d'abord prudemment donnée à une demi-douzaine d'intervenants: un historien, une militante féministe, un juriste, une proviseure... Qui tour à tour parlent laïcité, Etat de droit, mérite, condition des femmes, jeunesse des quartiers...  Face à eux, la salle, attentive, opine du chef. Au moins 200 personnes, toutes couleurs de peau. Peu de jeunes. Des associatifs, des élus, des enseignants, quelques étudiants, pour la plupart invités par la préfecture. Et en majorité acquis au principe du débat, ceux qui ne l'étaient pas ayant fait savoir qu'ils déclinaient l'invitation - pour cause de «lepénisation de esprits» a par exemple invoqué la ligue des droits de l'homme.

Le juriste, un peu confus, achève son intervention devant quelques baillements. Regain d'attention quand le micro commence à circuler. Un quadra en costume, né en Algérie et arrivé en France «avec cent francs en poche», explique qu'il a «choisi» d'être français, qu'il a d'ailleurs prénommé son aîné Jacques et que «les premiers à se moquer de son nom sont les jeunes de banlieue. Pourquoi, le 93 c'est pas un département français?» Une prof d'éco pense qu'«il faut construire un statut des travailleurs migrants». Un jeune, qui se définit comme maghrébin et militant de droite, trouve qu'être français, «c'est respecter des valeurs» et tient à «remercier les hôtesses» pour l'organisation du débat.

«On ne devrait pas parler de Karcher»

Les interventions se suivent sans rebondir les unes aux autres, très vite ça part dans tous les sens. Le public, de plus en plus dissipé, s'impatiente, commente à qui mieux-mieux et de moins en moins bas. Une femme répète l'air pincé «mais qu'est-ce que c'est que ça, mais qu'est-ce que c'est que ça» dès qu'elle n'est pas d'accord, et elle semble rarement d'accord. Deux rangées se vident quand un ancien combattant très en verve se met à digresser sur la «dégradation de la planète», une troisième quand il en est aux «enfants qui meurent toutes les quatre secondes».

Un étudiant (de gauche) doit s'interrompre sous les huées pour s'être aventuré à parler d'un «débat souillé par le Président de la République». Même sort pour cette dame de la Ligue de l'enseignement qui s'interroge sur les «soupçons de nationalisme et de xénophobie» véhiculés par le débat. A tel point qu'un troisième, «kabyle-auvergnat», moustache et petites lunettes, prévient d'emblée: «Je demande d'avance pardon à ceux qui trouveront mes propos choquants, vous pourrez toujours me casser la gueule après». Que dit-il? Qu'il trouve «un peu bizarre que l'on décide de définir ce qu'est un bon citoyen.» Et que dans la France qu'il aime, celle «de Zola, de Dreyfus, de Simone Veil», «on ne devrait pas parler de Karcher». Ça ne loupe pas: soupirs excédés dans la salle, il rend le micro avant d'avoir fini.

Ces deux heures n'auront en revanche entamé en rien l'optimisme d'Eric Raoult, à qui est revenu le mot de la fin. Le député UMP de Seine-Saint-Denis et maire du Raincy a trouvé le débat «très beau, très émouvant». Tellement fertile, en fait, qu'il faudrait selon lui en tenir «un par an».

source:libération

Publié dans espace politique

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